Bivouac sur le GR65 : le retour en grâce
Des années 70 à nos jours, les chemins de Compostelle ont vu passer un grand nombre de tentes sur les sacs à dos des pèlerins. Et les raisons de ce type d’hébergement ont toujours été multiples, elles le sont toujours. Ce qui change aujourd’hui, c’est l’offre qui accompagne désormais les adeptes du bivouac,
des pèlerins (presque) comme les autres.
Camper ou bivouaquer ?
Sur les chemins de Compostelle, comme sur les sentiers de randonnée en montagne, camper, ce n’est pas la même chose que bivouaquer. Le Larousse précise que camper, c’est « s’installer quelque part d’une manière provisoire avec des moyens rudimentaires ». Dans l’usager, camper c’est donc monter sa tente de manière fixe pour plusieurs jours au même endroit, comme l’été au camping pour les vacances. Bivouaquer, si l’on s’en tient à la définition du dictionnaire, c’est « installer un campement transitoire en plein air, sans tente ni abri. » Là aussi, dans l’usage, on parle de bivouac lorsqu’on installe pour une seule nuit sa tente ou son sac de couchage sans toile « à la belle étoile ». Il est communément admis et demandé de s’installer en fin d’après midi et d’avoir démonté tôt le lendemain matin. C’est donc bien le bivouac qui concerne les pèlerins et les randonneurs au long cours.
Petite Histoire de la tente sur le Chemin
Jacques Clouteau, co-fondateur, gérant et auteur au sein des Éditions du Vieux Crayon, nous rappelle la genèse de cette tendance. « Dans les années 1970-1980, une forte minorité de pèlerins parcourait le chemin de Saint Jacques en dormant sous la tente. Certains le faisaient par choix, la simplicité du bivouac faisant partie de la démarche pèlerine. D’autres le faisaient par obligation, car les hébergements étaient rares et certains guides préconisaient sans vergogne des étapes de 40 km. D’autres encore, surtout ceux qui marchaient jusqu’à Santiago, n’avaient pas les moyens nécessaires pour payer chaque soir un gîte. »
Les années ont passé : « L’infrastructure du Chemin s’est développée, de nombreux gîtes se sont ouverts, à des prix plus avantageux, poursuit-il. Alors les campeurs se sont faits plus rares. Le nombre de pèlerins augmentant dans les années 2000, les petites guitounes sont quasiment disparues du GR 65. Et puis les tarifs des gîtes d’étape ont lentement pris de la hauteur pour les bourses plus plates que les autres. Alors le pèlerin jeune et désargenté n’a plus eu le choix que de charger son sac avec une toile. Les réseaux sociaux bruissent aujourd’hui de discussions sur les matériels les plus légers et les coins de bivouac discrets ».
Bivouaquer, l’esprit du chemin ?
Vit-on moins intensément son pèlerinage ou sa randonnée, si l’on n’est pas au plus près de la nature ? Ce n’est pas certain. On peut avoir besoin de marcheur seul, de dormir seul, et de se centrer sur soi-même. On peut aussi avoir envie de partager sa journée, son aventure, autour d’un table, avec d’autres personnes.
Les randonneurs qui font le choix du bivouac sur le GR65 en ont besoin pour se rapprocher de l’esprit du Chemin.
Delphine P. a marché trois semaines en octobre dernier, et dormi en grande partie dans une tente. Elle témoigne : « Partir en randonnée était associé à un besoin de rupture avec mon quotidien, mon confort, mon rythme, mon travail. Je voulais m’émerveiller des choses simples et ressentir au plus profond de moi ce bout de chemin vers Compostelle. Dans mon esprit, cela répond au besoin de vivre avec peu, de dépouillement, de simplicité, d’être libre (de mes étapes), d’être dans le silence et parfois juste de lire, d’être au contact de la nature et de vivre à son rythme, en se couchant à la tombée de la nuit notamment… Bref, lâcher prise et donner à ce périple un petit parfum d’aventure ».
Bivouaquer, c’est aussi une solution économique et écologique, lorsqu’on ne laisse évidemment rien derrière soi en partant. « Il ne faut pas se mentir non plus, sur le long-court, c’est un budget le gîte ou la chambre d’hôtes, alors ça permet de souffler un peu financièrement », admet la jeune femme.
Où s’installer pour dormir ?
Faire Compostelle en tente, c’est possible, oui, mais pas n’importe où et n’importe comment ! Il faut relativiser cette idée de liberté totale. En France, d’un point de vue juridique, le camping est réglementé par le Code l’urbanisme : « Le camping est librement pratiqué, hors de l’emprise des routes et voies publiques, avec l’accord de celui qui a la jouissance du sol », indique l’article R111-32. Autrement dit, installer sa tente pour une nuit ou plus en pleine nature est donc légal sous réserve de l’autorisation du propriétaire du lieu, qu’il soit public ou privé.
Dans le cadre d’une activité de loisirs, il y a pour l’itinérance – à pied, à vélo, en canoë, à cheval… – une forme de tolérance. Par exemple, en montagne, dans les parcs protégés, le bivouac, en général, est toléré pour les randonneurs et les alpinistes du coucher au lever du soleil. Pour conclure, disons que le bivouac est possible partout où il n’y a pas d’interdictions !
Mais elles sont nombreuses : les propriétés privées sans autorisation, les rivages de la mer et les sites inscrits ou protégés, les sites classés dans les zones de protection du patrimoine de la nature comme les réserves naturelles, les secteurs sauvegardés dans le champ de visibilité des monuments historiques, à moins de 200 mètres autour des points d’eau captée pour la consommation…
Une nouvelle offre pour les pèlerins
Face à l’engouement que suscite le bivouac sur les chemins vers Saint-Jacques, les hébergeurs ont diversifié leurs offres et l’on adapté aux profils des marcheurs : bivouaquer oui, mais en sécurité par exemple, ce qui est très apprécié par les hommes ou les femmes seul(e)s. « Aujourd’hui une nouvelle phase survient, car les campeurs de 2025 ne sont plus ceux de 1990. Ils aiment bien, de temps à autre, bénéficier d’une douche chaude et savourer un bon repas. Encore une fois les hébergements se sont adaptés. Ils proposent désormais aux adeptes du camping la possibilité de planter leur tente dans le jardin, avec l’accès aux sanitaires moyennant quelques euros. Et de plus en plus offrent une nouveauté : la demi-pension camping, qui comprend l’accès aux douches, le repas du soir et le petit déjeuner », détaille Jacques Clouteau qui a remarqué cette tendance dans l’édition 2025 à venir du Miam Miam Dodo.
Marie-Emilie, qui a participé à la mise à jour des sections 1 et 2, ainsi que des voies du Célé et de Rocamadour confirme : « Lors nos échanges avec les hébergeurs cet automne, beaucoup étaient conscients de ce besoin croissant sur le Chemin, et avaient envie de répondre à cette demande. Bien sûr, les plus critiques pensent que ce n’est que pour le business. Autoriser des tentes dans son jardin, c’est toujours 5 à 10€ de plus chacune… Mais j’ai échangé avec des professionnels qui investissent dans de vrais équipements. Des campings, par exemple, ont acheté des tentes igloo et des matelas pour les pèlerins afin d’alléger leurs sacs à dos, des gîtes ont construit des cabanes avec douches solaires et toilettes sèches. » Et Jacques de conclure : « C’est ainsi que le Chemin suit son chemin, s’adaptant sans cesse à l’immense foule des marcheurs de l’inutile et du bonheur. »