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La belle histoire du Miam Miam Dodo

La belle histoire du Miam Miam Dodo

Cette belle histoire commence en l’an de grâce 1428.

En ce temps-là, une jeune bergère, qui répondait au doux nom de Lauriane, paissait ses moutons dans une prairie sur les collines au-dessus de la cité de Conques. De nombreux pèlerins, en route vers le tombeau de Messire Saint-Jacques, passaient sur le sentier, qui la hélaient souvent et lui faisaient compliment sur sa beauté. Mais elle était encore fille, et très pieuse, et ne voulait point se laisser séduire par un coureur de chemins, sans bien ni foi ni loi. Un jour que la lumière était douce, à l’automne finissant, Lauriane filait sa quenouille et chantonnait. Soudain, une voix l’appela : « Lauriane, si tu aimes Dieu, veux-tu m’entendre ? »
Surprise, et apeurée, elle leva les yeux au Ciel et vit un ange, tout de blanc vêtu, qui se tenait immobile à quelques mètres d’elle. L’ange lui dit : « Lauriane, si tu aimes Dieu, tu dois écrire un livre pour les pauvres pèlerins de Compostelle, car nombreux sont les pauvres hères qui ne savent à quelle porte frapper quand tombe la nuit et que rôdent les loups ». Mais comment cela se pourrait-il, Messire Ange, je ne sais point lire ni écrire.

« En revenant vers ta bergerie, ce soir, tu rencontreras un pèlerin et son bourricot. Prends soin de lui, et aussi de son âne, car il t’aidera dans ce labeur. C’est le Ciel qui te l’envoie ». « Mais dis-moi, Sire Ange, comment ce livre devra-t-il être appelé ? »
« Regarde ce soir, quand tu passeras devant le portail de l’église abbatiale, avec tes moutons, et la réponse te sera donnée ». Alors, le soir venu, Lauriane s’en revint avec ses moutons, et passa devant le beau portail de l’église abbatiale. Elle leva les yeux, et vit que le dernier soleil illuminait le Seigneur Christ en Majesté. Et là se tenait le vieux pèlerin, avec son bourricot, qui la regarda, puis regarda le portail, et lui dit : « Vois là-haut, fille, là se trouve le nom de ton ouvrage, et ce nom sera connu pour les siècles des siècles. Il s’appellera « miam-miam-dodo«  » Mais que signifie ce nom étrange, voyageur ?

Cette langue est du latin, fille, et ce vocable signifie « Le serviteur aime son Maître ». Le Maître, ici, bien sûr c’est notre Seigneur Dieu. C’est une invocation que psalmodiaient les moines dans les temps anciens, avant que la règle de Saint Benoit ne bouscule les vieux usages ». Et pourquoi les lettres que je vois, même si je n’entends point l’alphabet, sont-elles gravées deux fois dans la pierre, voyageur ?
« C’est là une bien vieille histoire, jeune bergère. Sais-tu que Jehan de Nimègue, le compagnon qui sculpta ce portail, était le meilleur compagnon tailleur de pierre de son siècle. Toutefois il était affligé d’un bégaiement effroyable qui en faisait la risée du mauvais peuple. J’ai lu autrefois, quand j’étais jeune clerc, un vieux manuscrit qui disait « Jehan estoit fort bègue et répétoit moultes fois tant que c’éstoit grande pitié et qu’il lui falloit souventes fois ayder afin qu’il terminoit ses phrases avant que le soleil ne se couchoit ». On dit qu’il avait eu 14 enfants, 7 fois des jumeaux, tant il bégayait même en sa couche. On dit aussi que lorsque le peuple se moquait de lui à son atelier, il pouvait aussi bégayer ses sculptures. C’est sans doute pourquoi il a répété deux fois « miam » et deux fois « do ». Et c’est pourquoi ce nom demeurera dans l’éternité, comme le symbole du travail bien fait, en dépit des critiques, des facheux, des pisse-froid et des importuns. »

C’est ainsi que naquit le miam-miam-dodo, en l’an de grâce 1428, sous le règne de notre bon roi Charles VII. Le vieux pèlerin et la jeune bergère s’en furent sur le Chemin de Monsieur Saint Jacques, et collationnèrent les monastères, prieurés et couvents, et toutes les auberges, les bouges comme les plus beaux palais, et aussi les gargottes. Des années durant, dans leurs scriptoriums, les bons moines copièrent et recopièrent des milliers de miam-miam-dodo, jusqu’à ce que leurs yeux n’en puissent plus et que leurs mains soient bleuies par le froid de l’hiver. Hélas quelques siècles plus tard éclata la Révolution. Les monastères furent incendiés, et les derniers exemplaires du miam-miam-dodo jetés au brasier. La belle histoire était finie. Un seul exemplaire du miam-miam-dodo médiéval est aujourd’hui pieusement conservé aux archives de la Cité du Vatican.

Mais voici que deux siècles plus tard, des milliers de pèlerins se sont remis en route vers Saint-Jacques de Galice.
Et voici que sur tout le chemin, dans chaque village, se sont ouvertes moultes chambres où le marcheur trouve chaque soir bonne table, bon feu et bon lit. Et voici enfin que Maître Jacques, un autre pèlerin avec son bourricot Ferdinand, roi des ânes et roi d’Aragon, et sa fille Lauriane, ont repris au siècle dernier, en mille neuf cent nonante et huit, l’antique tradition. C’est un soir d’agapes, chez le cabaretier Lefrançois, à l’auberge de la Cassagnole, près de la bonne ville de Figeac, que fut prise la décision de recréer l’antique miam-miam-dodo. 

Mais sont arrivés les temps modernes : plus de plumes d’oie, plus d’encre violette, plus d’enluminure, mais un ordinateur, une souris et un téléphone. Les débuts furent bien difficiles, et les soirées bien besogneuses. Ce ne furent les premières années que de modestes pages en noir et blanc, dont voici quelques émouvants souvenirs qui vont arracher quelques larmes aux anciens pèlerins. Quelle émotion : les prix sont encore en Francs sonnants et trébuchants, l’itinéraire est à peine souligné par de gros points maladroits. Ah ! Toute notre jeunesse… Alors vint le règne de la couleur. Et le manuscrit reprit enfin en l’année 2006 ses enluminures des temps anciens. Et puis, en 2012, afin que le précieux manuscrit tint dans la besace des pèlerins, le miam-miam-dodo perdit quelques douzièmes de pouce…

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