Trop de pèlerins à Saint-Jacques-de-Compostelle ?
496 140 pèlerins ont reçu la Compostela à Saint-Jacques au 3 décembre 2024 ! Du monde sur les Chemins, ce n’est pas nouveau. Mais autant de monde, c’est plutôt récent… et presque vertigineux ! S’il est légitime de s’en inquiéter, de s’en offusquer ou de tirer la sonnette d’alarme, il est tout autant intéressant d’analyser ce phénomène et de comprendre de « quoi on parle », de « où on parle » et de « quand on parle ». Car, derrière « Compostelle », il y a une multitude
de profils de pèlerins et marcheurs, de façon de prendre les Chemins et de voies – en France, en Espagne, en Europe plus largement… et jusqu’au Québec.
Vous avez été nombreux à regarder et réagir au reportage « Surtourisme sur les chemins de Compostelle », diffusé dans l’émission Arte Regards – Des Histoires d’Européens, le 26 novembre 2024. Cela nous a encouragé à nous plonger dans les chiffres et à vous présenter la réalité aujourd’hui du Chemin.
Avant cela, revenons sur ce reportage : de quoi parlait-il ? Derrière ce titre que l’on a pu trouver accrocheur ou exagéré, nul doute qu’une réalité a été mise en avant : celle des milliers de marcheurs – touristes ? – fascinés qui font route jour après jour vers Santiago/Saint-Jacques, haut lieu de la Galice, en Espagne, point d’arrivée de toutes les voies de Compostelle.
Le reportage a mis particulièrement l’accent sur l’afflux de pèlerins sur le Camino Francès, et précisément sur le dernier tronçon au départ de Sarria, 114 km en amont, qui est le minimum à parcourir pour obtenir le précieux certificat de pèlerinage – la Compostela. Il faut avouer que les images de marcheurs à la queue leu leu sur le sentier sont assez effrayantes pour qui ne l’a pas vécu. Sur ces cinq dernières étapes, jusqu’à 1000 personnes se côtoient quotidiennement et sur l’année 2024, ils étaient un peu plus de 150 000. En comparaison, cinq fois moins arrivaient de Saint-Jean-Pied-de-Port ! Dans la ville de Saint-Jacques, les tensions avec la population locale sont donc réelles, et l’on découvre les mesures prises par les autorités pour permettre une cohabitation plus sereine. Enfin, le reportage montre qu’à l’écart de la foule, des hospitaliers se battent pour préserver les valeurs du pèlerinage.
50 000 de plus en une année
Vous allez vite voir que lorsqu’on parle d’afflux, ce n’est pas un vain mot, et c’est même sûrement un euphémisme. Le très officiel Bureau d’Accueil des Pèlerins de la cathédrale, rue Carretas à Saint-Jacques-de-Compostelle, tient des statistiques précises et très intéressantes : au 3 décembre 2024, 496 140 pèlerins ont été recensés dans l’année, soit 50 000 de plus qu’en 2023 ! Autant dire que 2025 sera probablement l’année du passage de la barre des 500 000. Il y a 40 ans, en 1985, ils étaient 1245, oui à peine 1245… Le nombre de pèlerins a doublé en 10 ans. En 2024, 47 % de ces pèlerins ont emprunté le Camino Francès (soit 235 000 personnes). Ils sont à 42 % espagnols. Saviez-vous que ce sont les Américains les plus nombreux après eux (8%) ? Enfin, le départ du Puy-en-Velay n’a concerné que 3000 personnes sur l’ensemble des pèlerins.
Où se situent les Français dans tous ces chiffres ? ils étaient 10 152 en 2024 à se présenter à Saint-Jacques, soit à peine 2 % des nationalités représentées (et au 8e rang du classement par pays). Toutefois, un quart d’entre eux arrivait du Puy-en-Velay, et ayant vaillamment parcouru plus ou moins 1530 km.
A la cathédrale, entre mi mai et fin octobre, des groupes de bénévoles accueillent les pèlerins francophones, organisant des rencontres de réflexion, des visites spirituelles, une messe célébrée chaque matin en français. Cette réception est organisée par l’association Webcompostella, avec la collaboration de la Conférence épiscopale française. Si vous souhaitez participer à cette aventure, sachez que les candidatures pour l’accueil francophone sont ouvertes jusqu’au 5 janvier 2025.
Les autres chiffres du 2024
Sans surprise, 93 % des pèlerins sont des… marcheurs ! Le Bureau a tout de même comptabilisé un peu plus de 20 000 cyclistes en 2024, ce qui représente à peine 4,5 % des moyens de déplacement. Les trois mois de plus forte affluence à Saint-Jacques sont mai (le pic) et août (plus de 71 000 personnes chacun des mois) puis septembre (quasiment 70 000).
Un peu d'histoire sur le pèlerinage
Pour comprendre cet engouement actuel, il faut reprendre un peu l’histoire du pèlerinage à Saint-Jacques. « Celui remonte à plus de 1 000 ans avec la découverte du tombeau de Saint Jacques le Majeur appelé aussi Jacques de Zébédée, sous le règne d’Alphonse II (792-842). Les XIIe et XIIIe siècles sont traditionnellement considérés comme l’âge d’or du pèlerinage à Saint-Jacques », explique Jacques Clouteau, auteur de Compostelle : Mode d’emploi, guide de préparation au voyage. Faisons ensuite un bond jusqu’au XXe siècle. « On pensait que les moyens de transport pourraient entraîner un déclin du pèlerinage traditionnel à pied et à cheval. Ce ne fut pas le cas et, au contraire. L’impulsion définitive du pèlerinage fut donnée par les visites des papes à Compostelle ; Jean-Paul II en 1982 et en 1989 à l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse, et Benoît XVI lors de l’Année sainte 2010. Au cours des 30 dernières années, le chemin de Saint-Jacques a suscité un intérêt croissant. Et les statistiques montrent que le phénomène du pèlerinage continue de croître. En 1985, 1 245 pèlerins sont arrivés à Santiago », rappelle le Bureau d’Accueil des Pèlerins.
La suite vous la connaissez désormais : 40 ans après, ils sont 400 fois plus ! La quête religieuse (un randonneur sur dix fait le chemin dans une démarche de foi) n’est plus l’unique source de motivation : « la quête de soi » est désormais dans tous les esprits, à travers une dimension spirituelle, un besoin de nature et de patrimoine, des rencontres ou un aspect sportif.
